Faute inexcusable – Arrêts du 4 avril 2012 – Indemnisation élargie

Amélioration de l’indemnisation des accidentés du travail et des victimes d’une faute inexcusable de l’employeur par une série d’arrêts de la Cour de cassation du 4 avril 2012

La réparation du préjudice corporel est le domaine du droit et de la justice qui s’attache à réparer les blessures ou lésions corporelles. Elle recouvre de nombreux types de procédures, présente un caractère transdisciplinaire et requiert un investissement particulier de la part du praticien. Ces quelques lignes exposent une avancée majeure et récente.

Jusqu’à présent, la victime d’un accident du travail ayant démontré la faute inexcusable de son employeur pouvait obtenir devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale une indemnisation venant compléter un capital ou une rente accident du travail.

Cependant, cette indemnisation concernait limitativement quatre postes de préjudice (outre la majoration de la rente forfaitaire) : les souffrances physiques et morales endurées, le préjudice esthétique, le préjudice d’agrément et le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle (selon article L. 452-3 du code de la sécurité sociale).

La victime se voyait privée, non seulement de l’indemnisation de plusieurs autres postes de préjudice, et non des moindres, pourtant allouée aux victimes d’un accident de la circulation, d’un accident médical, etc., mais aussi de toutes les procédures d’indemnisation dites « en droit commun » qui offrent une réparation intégrale…

La victime d’une faute inexcusable n’était donc indemnisée ni de ses besoins en tierce personne passés ou futurs (sauf rares exceptions dans des cas gravissimes), ni de ses dépenses d’aménagement d’un appartement pour l’adapter à une infirmité, ni de ses frais de fauteuil roulant ou véhicule adapté, ni de son déficit fonctionnel temporaire (ancien ITT)…

La victime d’un accident du travail ayant démontré la faute inexcusable était donc très défavorisée par rapport à une victime indemnisée plus largement « en droit commun ».

Et ce, d’autant plus que l’indemnisation du préjudice corporel en droit commun a connu une nette amélioration depuis quelques années (création par la loi Kouchner d’une procédure d’indemnisation par l’Oniam, instauration d’une nomenclature des préjudices dite « nomenclature Dintilhac », jurisprudences favorables de la Cour de cassation et du Conseil d’État).

Depuis la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010, saisi sur question prioritaire de constitutionnalité, les victimes d’un accident du travail causé par la faute inexcusable de leur employeur, sous réserve que leur affaire ne soit pas définitivement jugée, peuvent (doivent !) désormais solliciter, en plus des prestations mises à la charge de la sécurité sociale, la réparation de ces postes de préjudice complémentaires.

Si la cour d’appel de Grenoble avait déjà élargi à certaines occasions l’indemnisation de victimes gravement blessées, les juges ne savaient dans quelle mesure élargir l’indemnisation des victimes d’une faute inexcusable au-delà des postes limitativement énumérés par le code de la sécurité sociale.

C’est précisément à cette question que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient de répondre par une série d’arrêts rendus le 4 avril.

S’agissant du poste de préjudice du déficit fonctionnel permanent (l’ancien IPP), la Cour de cassation en refuse l’indemnisation, dans une suite logique mais très critiquable de sa décision du 19 novembre 2009, pourvoi no 08-18.019, estimant que la rente indemnise non seulement les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle, mais aussi le déficit fonctionnel permanent, de sorte que ce préjudice est déjà indemnisé par le code de la sécurité sociale.

S’agissant du préjudice sexuel, les juridictions de sécurité sociale estimaient depuis longtemps que ce poste était inclus dans un autre, plus large, le préjudice d’agrément.

Une telle appréciation confinait le plus souvent à une sous-évaluation de ces deux postes de préjudice.

La Cour de cassation a décidé que le préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle, doit désormais être apprécié distinctement du préjudice d’agrément mentionné dans le code de la sécurité sociale.

Il s’agit là d’une première avancée positive pour le droit des victimes.

Dans ce même arrêt, la Cour a aussi décidé que devait être indemnisés, en plus des indemnités journalières du code de la sécurité sociale, le déficit fonctionnel temporaire total ou partiel, le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la vie traumatique.

Encore une fois, il s’agit ici d’une évolution positive de l’indemnisation de ces victimes.

S’agissant de la question de qui doit faire l’avance des sommes allouées par la juridiction, la Cour de cassation a une nouvelle fois rendu un arrêt favorable aux victimes.

En effet, la juridiction suprême a décidé que la caisse d’assurance maladie est tenue de verser les indemnisations fixées par la juridiction pour l’ensemble des préjudices subis par la victime, à charge pour la caisse d’en récupérer le montant auprès de l’employeur.

Pour notre part, cet arrêt est majeur : nous gérions le cas d’un jeune homme paraplégique dont l’employeur était en liquidation judiciaire et dont l’assureur se déchargeait de sa garantie due au titre de la faute inexcusable, exposant ainsi cette victime à un défaut d’indemnisation.

Cet arrêt vient précisément permettre à cette victime et à d’autres dans des cas similaires (cas fréquents des accidents corporels graves mettant en péril l’existence même de la société) d’être indemnisés.

À ce titre, nous ne saurions faire autre chose que conseiller aux employeurs, une fois n’est pas coutume, le recours à une assurance particulière pour la faute inexcusable.

Enfin, les frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et accessoires, les frais de transport et, d’une façon générale, les frais nécessités par le traitement, la réadaptation fonctionnelle, la rééducation professionnelle et le reclassement de la victime sont pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie, de sorte qu’ils figurent parmi les chefs de préjudice expressément couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale dont la victime ne peut demander réparation à l’employeur en application de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu’interprété à la lumière de la décision no 2010-8 QPC du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010.

Incontestablement, cette série d’arrêts de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation va dans le sens d’un alignement de l’indemnisation des accidents dus à une faute inexcusable sur les accidents dits « de droit commun » et c’est une avancée majeure.

L’obsolescence du régime d’indemnisation des accidents du travail est donc en passe de céder le pas (cf. rapport Pr Masse et rapport Yahiel).

Sur un plan pratique, il est urgent que les victimes de faute inexcusable sollicitent, devant la juridiction compétente, l’indemnisation de tous les postes de préjudice énumérés par la nomenclature Dintilhac.


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